«Les mêmes actions
d’abord inspirées dans la société primitive par l’utilité générale ont été accomplies plus tard par d’autres
générations pour d’autres motifs ; parce que l’on craignait et vénérait
ceux qui exigeaient et recommandaient ces actes, ou par habitude parce que, dès
son enfance, on les avait vu faire autour de soi, ou encore par bienveillance,
parce que leur exercice amenait partout la joie et des visages approbateurs, ou
afin par vanité parce qu’on les louait. De telles actions dont on a oublié le motif fondamental, celui de l’utilité,
sont alors appelées morales : non peut-être parce qu’elles ont été
accomplies pour ces motifs différents,
mais parce qu’elles ne l’ont pas été
pour raison d’utilité consciente. – D’où vient cette haine de l’utilité qui devient visible, alors que toute action
louable s’exclut littéralement de toute action motivée par l’utilité ? –
Il est évident que la société, le foyer de toute morale et de toutes louanges
en faveur des actes moraux, a eu à lutter trop longtemps et trop durement avec
l’intérêt particulier et l’entêtement de l’individu pour ne pas finir par
considérer comme supérieur au point de vue moral, tout autre motif que l’utilité.
C’est ainsi que naît l’apparence qui fait croire que la morale n’est pas sortie
de l’utilité : alors qu’en réalité elle n’est pas autre chose, au début,
que l’utilité publique qui a eu grand-peine à se faire valoir et à se faire
prendre en considération contre toutes les utilités privées. »
NIETZSCHE; Le Voyageur et son ombre;
Aphorisme 40.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire